Comparaison à l’échelle entre une Alpine A290 et un SUV BMW X7, illustrant la démesure des SUV face aux citadines compactes.

L’incompétence stratégique expliquée par les SUV

Le SUV n’est pas une stratégie, c’est une capitulation en plastique chromé.

L’industrie automobile adore s’en féliciter : volumes stables, marges confortables, clients « fidèles ».
En réalité, elle se contente de tourner en rond, sur quatre roues surélevées, dans un brouillard de storytelling et de PowerPoint.
Le SUV, c’est la matérialisation roulante de la paresse intellectuelle : la réponse standardisée à une question que plus personne n’a le courage de poser : à quoi sert encore une voiture ?

Le SUV, une stratégie par défaut

La stratégie du vide

Le SUV n’est plus un segment, c’est une stratégie d’occupation du vide.
Plus de la moitié des voitures neuves vendues en Europe en sont, et les directions marketing s’en félicitent comme d’une victoire planifiée. En réalité, c’est une stratégie par défaut, née de la peur du risque et entretenue par la logique financière. Quand tout le monde fait la même chose, on ne parle plus de vision, mais d’optimisation industrielle.

L’absurdité technique

Techniquement, le SUV est une contradiction roulante : 300 à 500 kg de plus qu’une berline équivalente, un Cx souvent supérieur à 0,32, et donc une consommation inutilement gonflée. En version électrique, cette surcharge se traduit par des batteries plus lourdes, plus chères, plus polluantes.
Mais sur le papier Excel, tout s’aligne : prix moyen en hausse, marges confortables, production mutualisée.

La rente marketing

Le SUV ne découle pas d’une lecture du marché, mais d’un biais structurel : dans un modèle où la rentabilité prime sur la pertinence, on fabrique ce qui coûte le moins à produire et se vend le plus cher à raconter.
C’est la logique du volume maquillée en stratégie.

Le SUV, c’est l’art de prendre du poids pour donner l’illusion de hauteur.

Ce n’est pas tant le SUV qu’il faut incriminer que ce qu’il révèle : la disparition d’une pensée stratégique au profit d’une comptabilité du risque.

L’effet d’imitation (ou comment le marché s’est mis à penser à la place du consommateur)

L’illusion stratégique

L’industrie automobile adore se dire stratégique, mais elle ne fait que suivre.
Chaque constructeur prétend “répondre aux attentes du marché”, tout en copiant le précédent avec trois ans de retard.
C’est le syndrome de la segmentation mimétique : quand l’outil de lecture du marché devient le moule qui le fige.

La segmentation mimétique

Les matrices SCP (Segmentation, Ciblage, Positionnement) ne servent plus à comprendre les comportements, mais à rassurer les comités exécutifs. On ne segmente plus pour éclairer, mais pour valider ce qu’on a déjà décidé de produire.
Les panels, focus groups et benchmarks produisent tous la même révélation : “le SUV reste porteur”.
Forcément : on ne demande jamais au marché ce qu’il voudrait, mais ce qu’il voit déjà.

Le biais de conformité

Et ce qu’il voit, c’est une offre homogène, pensée pour ne pas déplaire.
Le biais de conformité s’impose à tous les niveaux : designers, marketeurs, dirigeants.
Personne ne veut être celui qui dira non à la rente visible, alors on rebadge, on lisse, on élève le capot et on recommence.
C’est la stratégie du moindre risque, celle qui confond stabilité et stagnation.

La mécanique mentale

Mais le vrai ressort est plus profond : il est mental.
Le SUV n’est plus un choix rationnel, c’est une appartenance symbolique.
Il rassure les anxieux, flatte les statutaires, et offre une illusion de supériorité physique dans un monde perçu comme chaotique.
C’est là qu’intervient ce que j’appelle la segmentation mentale — une grille de lecture où l’achat ne traduit plus un besoin fonctionnel, mais une posture cognitive.

Pour aller plus loin
Segmentation mentale – typologies d’acheteurs de véhicules électriques selon leurs univers cognitifs
« Segmentation mentale », positionnement et storytelling : les « vrais » piliers du marketing VE

Segmenter le marché ne suffit plus.
Les constructeurs appliquent au véhicule électrique les vieilles recettes du marketing enseigné en école de commerce, comme si un VE était juste un produit de plus dans la matrice BCG.

→ Lire l’article complet
Ce concept de segmentation mentale dépasse la simple lecture socio-économique : il décrit un changement de paradigme. L’achat automobile devient un acte cognitif, un prolongement symbolique de la perception de soi et du monde. En d’autres termes, comprendre le marché, c’est d’abord comprendre comment les gens se racontent eux-mêmes.

Le SUV fonctionne parce qu’il s’adresse à un imaginaire, pas à un usage : celui du “je suis au-dessus du monde, donc protégé de lui”.

Le SUV n’est pas une voiture : c’est un bouclier mental pour classes moyennes anxieuses.

Le produit d’un arbitrage paresseux

L’arbitrage comptable

Le SUV n’est pas né d’une vision, mais d’un tableau Excel.
Au moment où les plateformes thermiques atteignaient leur maturité — MQB chez Volkswagen, EMP2 chez Stellantis, CMF chez Renault-Nissan — il fallait prolonger leur durée de vie sans repenser l’architecture.
La solution fut comptable : les surélever.
Même base, mêmes trains roulants, mêmes moteurs, mais perçus comme « nouveaux ».
Autrement dit, on a recyclé la contrainte en apparence de choix.

Les quatre leviers de la rentabilité

Cet arbitrage s’est transformé en dogme industriel.
Le SUV coche toutes les cases de la rationalité court-termiste :

Levier Description
CAPEX marginal Les plateformes existantes sont déjà amorties, donc chaque nouveau modèle coûte peu à lancer.
Prix moyen supérieur La « hauteur » du SUV se vend bien, et le positionnement pseudo-premium augmente la marge unitaire.
Volumes garantis Le segment s’auto-entretient : la demande naît de la visibilité même du produit.
Mutualisation logistique Mêmes composants, mêmes chaînes, moins de complexité, donc un risque industriel perçu comme maîtrisé.
L’illusion technique

Sur le plan technique, pourtant, c’est un contresens : plus lourd de 300 à 500 kg, avec un Cx de 0,32 à 0,35, soit 20 % de traînée en plus qu’une berline.
En thermique, c’est du carburant gaspillé ; en électrique, c’est une batterie surdimensionnée, donc plus chère, plus lourde, plus lente à produire et à recycler.
Mais la beauté du système, c’est qu’il est auto-justifiant : la masse appelle la puissance, la puissance appelle la batterie, et la batterie justifie le prix.

Le sweetspot industriel

Dans les comités produits, on appelle ça un sweet spot industriel.
En réalité, c’est une impasse élégante : un produit conçu pour préserver des marges, pas pour répondre à une époque.
Chaque SUV prolonge artificiellement la rentabilité d’une plateforme obsolète, tout en verrouillant la transition vers des architectures réellement efficientes.

Le SUV n’est donc pas une idée, mais un mécanisme d’inertie : il permet de faire croire à la nouveauté tout en retardant la transformation.

Le SUV, c’est la preuve qu’on peut industrialiser la paresse et la vendre au prix de l’audace.

La tyrannie du court terme

Le règne des contrôleurs

L’industrie automobile n’est plus dirigée par des ingénieurs, mais par des contrôleurs de gestion. Les décisions produits ne découlent plus d’une vision, mais d’un indicateur de performance. Le SUV n’est pas un succès industriel : c’est un artefact financier conçu pour prolonger la rentabilité d’un capital immobilisé.

La politique d’épuisement

Tout le modèle repose sur une équation simple : chaque plateforme doit être exploitée jusqu’à épuisement de sa valeur comptable. Or la transition vers l’électrique impose des coûts massifs, nouvelles usines, nouvelles batteries, nouvelles normes, sans retour rapide sur investissement. Les directions financières réagissent mécaniquement : maximiser le rendement des plateformes existantes, reporter les risques, engranger les dividendes. Ce qu’on appelle “stratégie de transition” est en réalité une politique d’épuisement.

Les indicateurs trompeurs

Dans les rapports annuels, tout semble cohérent : le ROCE se maintient, l’EBIT reste stable, et le Free Cash Flow rassure les investisseurs.

Mais pendant que les tableaux s’illuminent en vert, les idées s’assèchent. Le produit n’est plus une projection d’avenir, c’est un actif de rendement.

Le court terme dévore tout

Les budgets d’exploration sont coupés, les concepts sont lissés, les prises de risque étouffées. Une marque devient une colonne dans un fichier Excel. Et quand le marché bascule, elle n’a plus la plasticité intellectuelle pour suivre : ses dirigeants ont appris à piloter le présent, pas à penser le futur.

Le SUV n’est pas la preuve d’une stratégie gagnante. C’est la trace d’un monde qui pense en trimestres dans un siècle qui s’effondre en décennies.

Le piège écologique et politique

Le contresens écologique

Le SUV est le contresens écologique parfait : plus lourd, plus haut, plus large, mais toujours vendu comme “responsable” dès qu’il devient électrique.
Il concentre en un seul objet la schizophrénie de l’époque : l’angoisse environnementale maquillée en domination symbolique.
On roule pour “sauver la planète”, à condition de la dominer du haut d’un habitacle à 1 mètre 70 du sol.

Comparaison visuelle SUV vs Berline : hauteur, masse, aérodynamisme (Cx), consommation Illustration schématique : la berline est plus basse et plus légère, avec un Cx inférieur et une consommation moindre. Le SUV est plus haut et plus lourd, avec un Cx supérieur et une consommation plus élevée. Berline compacte ≈ 1,45 m Masse : ≈ 1,4–1,6 t Cx : ≈ 0,26–0,28 Conso VE : ≈ 14–16 kWh/100 km SUV ≈ 1,70 m Masse : ≈ 1,9–2,2 t Cx : ≈ 0,32–0,35 Conso VE : ≈ 19–22 kWh/100 km Berline (plus basse, plus efficace) SUV (plus haut, plus lourd, moins efficient)
Infographie schématique : à gabarit comparable, un SUV présente typiquement une masse plus élevée, un Cx supérieur et une consommation accrue par rapport à une berline équivalente.
L’hypocrisie réglementaire

L’absurdité ne tient pas qu’à la physique : 2 tonnes de masse moyenne, 20 kWh/100 km, pneus géants, freins usés plus vite.
Mais elle se double d’un paradoxe réglementaire : plus un véhicule est lourd, plus ses objectifs d’émission autorisés sont élevés.
Autrement dit : l’Europe récompense indirectement le gras.

🔎 Le paradoxe européen

Plus un véhicule est lourd, plus ses objectifs d’émissions autorisés sont élevés.

  • Les SUV dépassent souvent les 2 tonnes et profitent de seuils assouplis.
  • Les constructeurs optimisent la masse plutôt que l’efficience.
  • Le consommateur croit « verdir » son choix alors qu’il aggrave le bilan global.

Résultat : le règlement européen récompense la masse plutôt que la sobriété.

Le faux verdissement

Les constructeurs adorent ce système : il permet de vendre la contrainte comme progrès.
Le SUV électrique devient l’alibi d’une transition comptable : moins de CO₂ au pot d’échappement, plus dans la mine de lithium.
Et l’acheteur, soulagé de sa culpabilité, s’empresse de financer cette hypocrisie à 60 000 € pièce.

DonnéeValeur moyenne d’un SUV
Masse≈ 2 000 kg
Consommation électrique≈ 20 kWh / 100 km
Coefficient aérodynamique (Cx)0,32 – 0,35
Hauteur moyenne1,70 m
Le totem du déni collectif

Au fond, tout le monde y trouve son compte :

  • Les industriels prolongent leurs marges,
  • Les gouvernements affichent leur vert vertueux,
  • Les classes moyennes s’achètent une conscience à 500 ch.

Mais cette équation est toxique : elle enferme la transition dans la logique du produit le plus inefficace, le plus énergivore, le plus statutaire.
Le SUV est devenu un totem de déni collectif : il symbolise la vertu proclamée, et l’échec assumé.

On voulait verdir la voiture ; on a verdi le mensonge.

La panne d’imaginaire

Un rêve devenu bunker

Le SUV a tué la voiture sans même s’en rendre compte.
Il a vidé l’objet de sa substance symbolique, remplacé le désir de mouvement par la peur de manquer, et transformé la mobilité en posture défensive.
L’automobile fut un rêve d’émancipation ; elle n’est plus qu’un bunker roulant, un cocon de peur climatisée.

L’effondrement culturel

Ce n’est pas seulement un échec de design, c’est un effondrement culturel.
L’industrie a perdu la capacité de se projeter.
Elle ne raconte plus rien, sinon la répétition d’elle-même.
Les designers dessinent des muscles, les marketeurs vendent de la domination, et les ingénieurs, eux, regardent ailleurs.
La panne d’imaginaire est collective : elle résulte d’un demi-siècle d’obsession pour la rentabilité, au détriment du sens.

🔎 Pendant ce temps, d’autres inventent

Les constructeurs chinois explorent la modularité, l’usage, l’intégration urbaine.

  • Les start-ups travaillent sur la frugalité, la réparabilité et la circularité.
  • Les nouveaux entrants repensent la voiture comme un service, non comme un fétiche.
  • Ils conçoivent des véhicules sobres, adaptés à la ville et au climat de demain.

Pas spectaculaire. Pas statutaire. Simplement juste.

Le désenchantement occidental

Mais pour l’industrie occidentale, c’est trop tard : son ADN s’est figé dans le chrome.
Elle ne rêve plus d’avenir, elle rentabilise ses fantasmes d’hier.

Le SUV n’est pas un véhicule, c’est un symptôme.
Celui d’un monde qui préfère l’illusion de la puissance à la réalité du progrès.

🧩 Incompétence stratégique

L’incompétence stratégique ne se voit pas tout de suite. Elle se glisse dans les chiffres, les process, les tableaux de bord. Elle confond stabilité et intelligence, prudence et clairvoyance.

  • Elle optimise le présent au lieu de penser le futur.
  • Elle transforme la peur du risque en méthode de gestion.
  • Elle appelle stratégie ce qui n’est que reddition organisée.

Le SUV n’est pas une réussite industrielle, c’est le symbole d’un système qui a perdu la faculté d’imaginer avant de produire.

💡 Ce billet s’inscrit dans la série “Sillages de l’électromobilité”
Ces cinq fils rouges (Sillages) traversent mes publications :
Cartographie des segments, Distribution & Économie, Marketing du VE, Marques & Modèles, Technologies du VE.

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