Batterie IBIS Stellantis : quand l’intégration devient stratégie
Stellantis n’a pas choisi un modèle confidentiel pour présenter sa dernière innovation : c’est une Peugeot e-3008, SUV de volume, qui inaugure la batterie IBIS (Intelligent Battery Integrated System).
Derrière l’acronyme, une promesse : intégrer directement dans la batterie les fonctions de conversion et de charge, pour gagner en efficacité, en place et en coût. Une première mondiale, nous dit le communiqué officiel.
Décryptons.
La promesse officielle
Dans le discours institutionnel, IBIS coche toutes les cases : innovation française, consortium de recherche associant CNRS, Saft, Université Paris-Saclay, financements France 2030.
Un prototype roulant est déjà testé sur route, preuve que le concept sort du laboratoire.
Les chiffres sont calibrés pour séduire :
- +12 % d’efficacité énergétique,
- +6 % d’autonomie en cycle WLTP,
- 40 kg de moins et 17 litres d’espace libérés,
- 15 % de temps de charge AC en moins.
Un projet « de rupture » qui, sur le papier, change la donne.
Ce que cela change techniquement
L’idée paraît simple : faire disparaître l’onduleur et le chargeur comme boîtes séparées, pour les fondre au sein de la batterie.
Chaque module devient intelligent, capable de convertir le courant et de dialoguer avec l’ensemble. Moins de câbles, moins de pertes, moins d’encombrement et 40 kilos de moins.
Autre avantage : la modularité.
En cas de panne d’un module, celui-ci peut être isolé, laissant la batterie fonctionner avec une capacité réduite mais sans immobiliser le véhicule.
Une logique qui va plus loin que la mobilité : IBIS est pensé dès l’origine pour des applications stationnaires, avec l’idée d’une seconde vie facilitée.
Reste que l’électronique de puissance n’est pas un terrain totalement vierge.
L’électronique de puissance (MOSFET, IGBT, cartes) est éprouvée ; ses fragilités relèvent surtout de la thermique, des pics de tension et du vieillissement des condensateurs : la robustesse dépendra donc du design et du refroidissement.
Autrement dit, tout repose sur la qualité du design et du refroidissement.
Autre perspective intéressante : en intégrant le pont triphasé, IBIS pourrait à terme fonctionner en “in-out”.
Cela ouvrirait la porte à des usages bidirectionnels (V2G, V2L), faisant de la batterie non plus seulement un réservoir d’énergie, mais un véritable acteur du réseau électrique.
Pourquoi Stellantis mise sur cette voie
La réponse est stratégique.
Stellantis a longtemps traîné la réputation d’un suiveur sur l’électrique.
IBIS permet de renverser la perception : afficher une innovation de rupture, européenne, en partenariat avec la recherche publique.
C’est aussi un moyen de différencier ses plateformes STLA face à la concurrence asiatique et américaine.
En filigrane, une bataille d’image : montrer que le groupe ne se contente pas d’acheter des cellules à l’Asie, mais investit dans l’architecture même des batteries.
Et prendre date, dans un contexte où la souveraineté technologique devient un argument politique.
Les vrais enjeux derrière IBIS
Mais la réalité dépasse toujours les communiqués.
L’industrialisation d’IBIS reste lointaine : au mieux vers 2030.
Les chimies de cellules (NMC, LFP) devront être compatibles.
La robustesse des modules électroniques intégrés reste à prouver sur des millions de kilomètres.
Et les promesses de recharge (jusqu’à 200 kW AC selon Stellantis) devront passer l’épreuve des normes et de la fiabilité.
Le pari est double :
- réduire les coûts en supprimant des composants,
- sans alourdir la facture en complexifiant la batterie.
Un équilibre difficile, surtout à grande échelle.
Stellantis présente IBIS comme un pari de simplification et d’efficacité. Mais derrière l’argument technique, une inquiétude demeure : la réparabilité. En intégrant des éléments jusqu’ici séparés, on risque de reproduire un scénario à la “réservoir AdBlue” (pompe et capteurs intégrés, irréparables, remplacement complet et coûteux).
Même l’électronique de puissance a une fin de vie : un inverter ou un chargeur n’est pas éternel.
Là où Stellantis joue gros, c’est donc sur la robustesse et le coût total de possession.
Si la promesse de bypass de modules défaillants et de gestion thermique fiable est tenue, le gain en simplification peut l’emporter.
Sinon, le coût des pannes pourrait exploser.
À cela s’ajoute une crainte symbolique : voir IBIS devenir un “nouveau PureTech”.
Le moteur essence du groupe avait, en effet, souffert d’une réputation désastreuse avant que Peugeot ne corrige massivement le tir.
Espérons que Stellantis ait retenu la leçon et prenne toutes les précautions sur un projet aussi stratégique.
Décryptage stratégique
IBIS est un coup de communication autant qu’un pari technologique.
En annonçant une batterie plus simple, plus efficace et plus durable, Stellantis s’offre un récit d’innovateur.
Mais au-delà des gains chiffrés, il s’agit surtout d’affirmer une souveraineté technologique européenne et de se différencier sur un marché où tous les constructeurs peinent à se distinguer.
La vraie révolution n’est peut-être pas encore dans les modules électroniques, mais dans la narration :
Stellantis ne veut plus être le suiveur du véhicule électrique.
Merci à Emmanuel Clause pour son commentaire sur LinkedIn : il a rappelé que le projet IBIS avait reçu un financement public il y a sept ans. L’ADEME en a publié une fiche officielle (voir ici), soulignant l’ambition initiale : provoquer une rupture dans la conception des chaînes de traction électriques, en intégrant directement onduleur, chargeur et convertisseur dans la batterie. Un éclairage précieux pour replacer l’actualité de Stellantis dans la genèse du projet.
Source unique

Chaque article part d’un document officiel (fiche produit, communiqué, rapport) pour en extraire les lignes de force industrielles, symboliques ou politiques. Une lecture rigoureuse, stratégique et sans naïveté.
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Léon Chelli arpente les mondes de l’automobile et des énergies renouvelables à travers la transition écologique. Il y déchiffre mutations industrielles et stratégies de marché avec la lucidité un peu sauvage d’un promeneur qui choisit ses propres sentiers.
Il explore les transitions avec une vision systémique, entre ironie assumée et clarté analytique.