Audi : portefeuille renouvelé et vision clarifiée
Audi promet une « vision clarifiée » et une gamme repensée.
Nous proposons de lire cette évolution comme un cadre stratégique : une avance redéfinie, moins mécanique, plus logicielle et design, mais toujours premium.

Audi dans le carré stratégique du groupe VW
Depuis deux ans, Volkswagen cherche à donner une cohérence narrative à son portefeuille de marques.
Le groupe a compris qu’un empilement de modèles et de logos ne suffit plus : il faut des territoires clairs pour éviter la cannibalisation interne et parler différemment aux clients.
Chaque marque s’est ainsi vu attribuer une « signature » : true volkswagen pour réaffirmer l’authenticité populaire de la maison-mère, Vision O pour positionner Škoda sur une projection rationnelle et accessible, Tribe Editions pour donner à Cupra une identité communautaire et rebelle.
Ces récits ne sont pas de simples slogans marketing, mais des cadres stratégiques qui structurent les produits, le design et la communication.
Dans ce carré, Audi occupe une place particulière.
Sa « vision clarifiée » n’est pas un supplément de langage, mais une nécessité : rappeler que le premium du groupe n’est ni l’exubérance de Cupra, ni la rationalité de Škoda, ni même l’authenticité modernisée de Volkswagen.
Audi doit incarner le premium clair et statutaire, où la sobriété devient un luxe. C’est cette cohérence interne, plus que la multiplication de modèles, qui peut permettre à Ingolstadt de rester un pilier du groupe.
L’héritage Vorsprung et sa mutation
Le fameux Vorsprung durch Technik a longtemps reposé sur l’ingénierie mécanique : transmission quattro, utilisation pionnière de l’aluminium, raffinement des motorisations, innovations comme les phares à LED.
C’était une avance tangible, visible, qui a façonné la réputation d’Audi.
Mais cette narration est aujourd’hui à bout de souffle.
Dans un monde où toutes les marques premium proposent des performances équivalentes et où l’innovation passe par le logiciel, Audi doit transformer l’« avance » en un concept plus global.
🔎 Vorsprung durch Technik
« Vorsprung durch Technik » (L’avance par la technique) est le slogan d’Audi depuis 1971.
Repris dès 1980 pour accompagner le lancement du quattro, il est devenu l’ADN de la marque.
À l’origine, il mettait en avant :
- la transmission intégrale quattro,
- l’utilisation de l’aluminium (Audi Space Frame),
- le raffinement des motorisations.
Aujourd’hui, cette « avance » dépasse la mécanique : elle s’incarne aussi dans le design,
l’intégration logicielle et l’expérience utilisateur.
Le slogan reste inchangé, symbole de continuité identitaire.
Mais l’époque a changé.
L’avance se mesure désormais en design et en logiciel.
Avec le Concept C, Audi ne présente pas seulement une carrosserie : il envoie un signal de langage stylistique et de cohérence.

L’expérience utilisateur, l’intégration logicielle et l’épuration des lignes deviennent les nouvelles incarnations de cette avance.
En clair, le Vorsprung se modernise : moins mécanique, plus systémique.
Audi face au premium allemand
La comparaison est inévitable.
Mercedes joue la carte de l’aristocratie technologique.
Avec l’Hyperscreen puis MB.OS, la marque construit une narration où le luxe dépasse l’automobile pour s’affirmer comme un écosystème global.
Mercedes n’est plus seulement un constructeur : il se met en scène comme un univers numérique et statutaire, où chaque innovation logicielle devient un signe distinctif.
Héritière d’une tradition de luxe ostentatoire, la marque de Stuttgart accentue aujourd’hui son positionnement sur un « luxe global » qui associe automobile, design et services connectés.
BMW, de son côté, assume l’excès et la rupture.
La Neue Klasse n’est pas un simple programme produit : c’est une réinvention industrielle et esthétique. La marque joue à fond la radicalité stylistique, quitte à diviser, et s’impose comme celle qui ose l’inconfort visuel pour mieux signaler sa modernité.
Ajoutons à cela la dimension logicielle (iDrive 10, intégration OS maison), et BMW se présente comme la marque du premium sportif qui ne craint pas la surenchère.
Audi, face à ces deux narrations fortes, apparaît en retrait.
Il lui manque une « grande histoire » équivalente, une ligne directrice qui transcende la technique.
La « vision clarifiée » présentée à Munich peut jouer ce rôle, si la marque d’Ingolstadt en fait plus qu’un discours : une stratégie d’ensemble, lisible et incarnée.
Audi ne peut pas rivaliser avec la surenchère logicielle de Mercedes, ni basculer dans la brutalité stylistique de BMW.
Son créneau est ailleurs : un premium rationnel, technologique mais lisible, où la sobriété devient une valeur en soi. Un positionnement moins spectaculaire, mais qui peut séduire une clientèle lassée de l’esbroufe et en quête de clarté.
Risques de dilution dans le groupe
Le danger est bien réel.
Volkswagen monte progressivement en gamme.
L’ID.7, avec son espace intérieur et son confort, ou l’ID.Buzz, avec son statut iconique réinventé, visent des clients qui n’auraient pas hésité autrefois à franchir le pas vers Audi. La rationalité statutaire qui a toujours fait la force de la marque d’Ingolstadt est ainsi concurrencée directement par Wolfsburg, qui n’hésite plus à marcher sur le terrain du premium.
Cupra
En cultivant le désir et l’appartenance, Cupra menace un autre pilier de l’image Audi : l’attractivité auprès des jeunes urbains en quête de distinction.
Là où Audi pouvait autrefois se revendiquer « la marque premium des trentenaires », Cupra capte désormais cette clientèle par le biais d’un marketing identitaire et communautaire, qui résonne bien plus fort que le classicisme d’Ingolstadt.
Škoda
Enfin, verrouille la rationalité.
Sa stratégie Vision O met en avant un « smart premium » accessible, exactement ce qu’Audi tente de défendre dans un registre plus haut de gamme. Le risque est celui du chevauchement : si Škoda incarne la rationalité intelligente, Audi se retrouve contraint d’assumer un rôle moins distinct, pris en étau entre Cupra et Volkswagen.
Dans ce contexte, Audi ne peut pas se contenter d’être « le premium par défaut » du groupe.
Il doit absolument réaffirmer son identité propre : un premium clair, statutaire, sans confusion possible.
Cette « vision clarifiée » a précisément cette vocation : tracer une ligne de démarcation pour éviter la dilution, et réinscrire Audi dans une logique de différenciation interne au groupe.
Vision clarifiée comme stratégie
Le pari est simple en apparence : faire de la clarté un luxe. Mais pour qu’Audi transforme cette formule en véritable ligne stratégique, trois axes concrets s’imposent.
Rationaliser le portefeuille produits
Audi doit cesser d’entretenir une gamme tentaculaire où les doublons brouillent le message.
Le resserrement progressif autour de silhouettes clés :
SUV compacts (Q4), berlines statutaires (A6 e-tron) et sportives emblématiques (RS) est un moyen de traduire la clarté en décisions industrielles.
Contrairement à Volkswagen, qui multiplie les déclinaisons, Audi doit prouver que le premium, c’est la sélection.
Investir le champ logiciel
La bataille des prochaines années ne se jouera pas seulement sur la carrosserie, mais sur l’architecture logicielle.
Audi ne peut pas rester spectateur de Cariad**, ni laisser Mercedes et BMW imposer leurs narrations (MB.OS, Neue Klasse).
L’intégration de fonctions logicielles cohérentes (OTA, UX premium, personnalisation maîtrisée) doit devenir le nouveau « quattro », un marqueur différenciant qui incarne la modernité Audi.
Faire du design un langage stratégique
Avec le Concept C, Audi n’a pas présenté un simple prototype mais une grammaire esthétique.
Lignes épurées, cohérence des volumes, langage lumineux : l’ensemble traduit un choix stratégique, celui de la sobriété statutaire.
Le design doit être pensé comme Audi l’avait fait avec l’aluminium ou le quattro : une technologie visible qui incarne l’avance.
Si Mercedes mise sur l’opulence et BMW sur la provocation, Audi doit faire de l’épure un luxe.
Repositionner la valeur perçue
Enfin, Audi doit assumer une différenciation tarifaire : ni l’hyper-luxe inaccessible de Mercedes, ni le premium sportif clivant de BMW, mais un positionnement clair et statutaire qui justifie ses marges par la cohérence de l’offre.
Cela suppose une discipline forte sur les prix, les options, et la lisibilité de la gamme, là où le premium est souvent brouillé par une inflation de versions.
En somme, la « vision clarifiée » n’est pas un simple habillage de discours, mais peut être lue comme un cadre stratégique : une clarté érigée en arme.
C’est à la fois un outil défensif face aux marques sœurs du groupe et une promesse offensive face aux concurrents allemands.
Si Audi transforme réellement cette ligne en décisions produits, design et logiciel, alors l’« avance par la technique » pourra se redéfinir comme une avance par la cohérence.
** Cariad : filiale logicielle du groupe Volkswagen, créée en 2020 pour développer une plateforme logicielle unifiée pour toutes les marques (VW, Audi, Porsche, etc.). L’idée était d’avoir un seul système d’exploitation automobile (VW.OS) et une couche logicielle commune (pour conduite autonome, connectivité, OTA…).

Chaque article part d’un document officiel (fiche produit, communiqué, rapport) pour en extraire les lignes de force industrielles, symboliques ou politiques. Une lecture rigoureuse, stratégique et sans naïveté.
Ces cinq fils rouges (Sillages) traversent mes publications :
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Léon Chelli arpente les mondes de l’automobile et des énergies renouvelables à travers la transition écologique. Il y déchiffre mutations industrielles et stratégies de marché avec la lucidité un peu sauvage d’un promeneur qui choisit ses propres sentiers.
Il explore les transitions avec une vision systémique, entre ironie assumée et clarté analytique.