Ampere et la bataille des batteries : le laboratoire de Lardy comme pivot stratégique
L’inauguration du Laboratoire Innovation Cellule Batterie à Lardy n’est pas un simple jalon technique : c’est une déclaration de souveraineté.
Avec cet outil de 3 000 m², Ampere, filiale électrique de Renault Group, s’arme pour reprendre la main sur le cœur technologique du véhicule électrique : la cellule.
Dans un contexte où la dépendance européenne aux fabricants asiatiques reste massive, la création d’un tel centre d’excellence révèle les ambitions réelles d’Ampere : comprendre, anticiper et orienter les ruptures technologiques plutôt que les subir.

Maîtriser la cellule : un enjeu industriel et politique
La cellule, nouveau cœur de valeur
La batterie n’est plus un composant : c’est l’épine dorsale économique du véhicule électrique, jusqu’à 40 % de son coût total et la quasi-totalité de sa dépendance stratégique.
Maîtriser la conception et la caractérisation des cellules n’est donc plus une option, c’est une question de souveraineté industrielle.
En inaugurant à Lardy un laboratoire dédié au prototypage et à la caractérisation électro-physico-chimique, Ampere fait un choix singulier : ne pas produire, mais comprendre.
Dans une Europe encore majoritairement cliente des géants asiatiques (CATL, LGES, BYD), cette démarche traduit une conviction : la vraie indépendance ne commence pas dans les usines, mais dans les laboratoires.
Savoir choisir ses alliés
Le communiqué insiste sur la « capacité à identifier les bons partenaires ». Ce n’est pas une formule anodine, c’est une position stratégique.
Ampere ne veut pas devenir un fabricant de cellules, mais un arbitre technologique capable d’évaluer, comparer et orienter.
CATL, LGES ou Northvolt ne sont pas des concurrents, mais des candidats à la confiance.
Cette posture place Ampere à mi-chemin entre intégration et coopération :
un constructeur qui garde la main sur la science pour ne plus dépendre du discours marketing des fournisseurs.
C’est une souveraineté de connaissance, plus subtile mais tout aussi décisive que la souveraineté de production.
Lardy, symbole d’une mutation industrielle achevée
Du thermique à l’électrique : une bascule culturelle
Lardy fut longtemps le sanctuaire du thermique, le lieu où battaient les cœurs mécaniques du groupe Renault.
Qu’il devienne aujourd’hui un site 100 % électrique n’a rien d’anecdotique : c’est un renversement culturel, presque anthropologique.
Là où l’on mesurait hier le couple moteur et les émissions d’échappement, on dissèque désormais la densité énergétique et les cycles de charge.
Cette transformation n’est pas qu’une transition technologique, c’est un changement de civilisation industrielle.
Renault, à travers Ampere, prouve que l’électrique n’est plus un discours mais une pratique, une culture technique à part entière.
Transformer une base thermique en centre d’innovation batterie, c’est affirmer que l’avenir de l’industrie ne se reconstruit pas ailleurs, mais au même endroit, autrement.
Un signal adressé aux salariés, aux investisseurs, et à l’État : Renault ne délocalise pas la mutation, il la relocalise dans le savoir.
Le triptyque stratégique : site, compétences, innovation
La résilience industrielle, chez Ampere, repose sur un triptyque simple mais redoutablement structurant :
- le site, ancré dans une logique de continuité territoriale ;
- les compétences, refondées à travers le Campus E-Tech et la ReKnow University ;
- l’innovation, incarnée par le laboratoire cellule batterie.
Ce triptyque fait de Lardy un modèle miniature de la transformation industrielle européenne : reconversion des infrastructures, montée en compétences, création de valeur immatérielle.
Lardy devient une vitrine de transition juste : un lieu où l’on ne détruit pas des emplois, mais où l’on les requalifie.
Dans un contexte où de nombreux groupes ferment des usines pour en ouvrir d’autres à bas coûts, Ampere opte pour la voie exigeante mais durable : celle de la continuité sociale et du transfert technologique.
Cette cohérence stratégique, industrielle, humaine et politique, fait de Lardy non pas une simple réussite technique, mais un manifeste silencieux de ce que pourrait être la réindustrialisation française : une révolution par le savoir-faire.
L’innovation anticipée comme levier de souveraineté
Anticiper les ruptures, pas les suivre
Dans le vocabulaire industriel, « anticiper les ruptures » est une expression galvaudée.
Chez Ampere, elle prend un sens plus concret : il ne s’agit plus de courir derrière la technologie, mais de se placer en amont du choc.
Ce laboratoire traduit un changement d’époque : l’Europe a longtemps acheté les innovations venues d’ailleurs, Ampere veut désormais en comprendre les causes.
La logique Tesla ou BYD, investir massivement dans la R&D avant la rentabilité, trouve ici une version européenne, plus sobre mais tout aussi déterminée.
Travailler sur la caractérisation électro-physico-chimique, sur les tests destructifs ou sur les propriétés de charge rapide, c’est revendiquer le droit de comprendre la matière avant d’en dépendre.
Lardy devient donc un instrument de souveraineté cognitive : un lieu où la connaissance devient outil politique.
Préparer les prochaines générations de batteries
Ce laboratoire n’a pas vocation à produire, mais à discerner.
Dans la jungle des technologies émergentes, lithium-fer-phosphate, NMC haute densité, semi-solide, tout solide, sodium, il fonctionne comme un filtre stratégique, chargé d’identifier ce qui est réellement mûr, ce qui est prometteur, et ce qui n’est encore qu’un mirage de PowerPoint.
Renault Group, via Ampere, se dote ainsi d’un organe d’intelligence technologique, un contrepoids à la dépendance asiatique et à la logique de sous-traitance intégrale.
Dans un monde où la vitesse d’adoption compte autant que l’innovation elle-même, la vraie avance ne réside plus dans la possession d’une gigafactory, mais dans la pertinence du choix technologique au bon moment.
Ce que Lardy incarne, c’est cette Europe qui ne veut plus suivre le rythme des autres, mais retrouver le sien : un rythme fondé sur la lucidité scientifique plutôt que sur la course au volume.
Conclusion
Le Laboratoire Innovation Cellule Batterie de Lardy n’est pas une vitrine, c’est une bascule.
Ampere y franchit un seuil décisif : celui qui transforme un constructeur dépendant en arbitre éclairé du jeu technologique mondial.
Dans un écosystème dominé par la vitesse et la surenchère, Ampere fait un pari plus rare : celui de la lucidité.
Comprendre avant d’investir, analyser avant de produire, choisir avant d’imiter.
Cette stratégie de la lenteur maîtrisée, à rebours de l’agitation industrielle, pourrait bien devenir l’un des seuls leviers d’autonomie européenne crédibles.
Car dans la guerre des batteries, la vraie souveraineté ne se mesure pas en gigawattheures, mais en intelligence accumulée.
Lardy n’est donc pas qu’un laboratoire : c’est une déclaration politique en langage scientifique.
L’avenir industriel européen commencera le jour où la connaissance redeviendra une arme.
Chaque article part d’un document officiel (fiche produit, communiqué, rapport) pour en extraire les lignes de force industrielles, symboliques ou politiques. Une lecture rigoureuse, stratégique et sans naïveté.
Ces cinq fils rouges (Sillages) traversent mes publications :
Cartographie des segments, Distribution & Économie, Marketing du VE, Marques & Modèles, Technologies du VE.
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Léon Chelli arpente les mondes de l’automobile et des énergies renouvelables à travers la transition écologique. Il y déchiffre mutations industrielles et stratégies de marché avec la lucidité un peu sauvage d’un promeneur qui choisit ses propres sentiers.
Il explore les transitions avec une vision systémique, entre ironie assumée et clarté analytique.