Mairie d’É. en fin d’après-midi, façade institutionnelle soignée, devant laquelle est planté un panneau “Peinture fraîche”, symbole d’une politique municipale réduite à l’apparence.

Quand un budget ressemble à une fin de règne

La droite locale et le budget-vitrine : manuel d’illusion comptable

Il existe, dans l’ouest lyonnais, une commune résidentielle, confortable, bien coiffée, que nous appellerons ‘É’ par discrétion, ou par politesse élémentaire envers ses habitants. Ou juste pour le plaisir jubilatoire de l’hypocrisie qui ne trompe personne.

À première vue, tout y respire la respectabilité.
Fiscalité stable. Endettement maîtrisé. Discours municipal apaisant.
Une commune qui se veut sérieuse, raisonnable, presque exemplaire.

À la lecture de son budget 2025, l’impression est rassurante.
Rien ne déborde. Rien ne surprend. Rien ne dérange.
Et c’est précisément là que le problème commence.

🔎 Ce qu’un budget municipal raconte vraiment

Un budget ne dit pas seulement “combien”. Il dit surtout “quoi”, “quand”, et “avec qui”.

  • Le fonctionnement révèle les réflexes : fiscalité, dépenses du quotidien, priorités implicites.
  • L’investissement révèle la vision : trajectoire, programmation, capacité à transformer.
  • Les cofinancements révèlent la méthode : ingénierie, partenariats, capacité à aller chercher l’argent là où il est.

Dans une commune “É.”, la question n’est pas “est-ce que ça tient”. C’est “est-ce que ça avance”.

Une gestion irréprochable

Il faut reconnaître une chose à ce budget : il ne ment pas.
Il ne promet rien, et il tient parole !

Pas de grand projet.
Pas de pari.
Pas de rupture.
Pas même de fausse ambition déguisée en modernité.

Seulement une gestion appliquée, méticuleuse, presque attendrissante dans sa volonté de ne surtout rien risquer.

On pourrait appeler cela de la prudence.
Personnellement, j’y vois une forme aboutie de conservatisme municipal : celui qui se félicite de n’avoir rien cassé sans jamais se demander ce qu’il aurait pu construire.
Ça rassure peut-être une partie de l’électorat, mais ça ressemble furieusement à de la pusillanimité.

2025, l’année miracle qui n’existe pas

Illustration montrant deux ouvriers rénovant une pièce, symbole d’une commune qui privilégie la peinture visible à un projet de fond.
Une dernière couche de peinture, un ruban imaginaire, et tout le monde applaudit. Pendant ce temps, la trajectoire pluriannuelle reste au placard.

L’exercice 2025 concentre un niveau d’investissement inhabituellement élevé.
Présenté comme la preuve d’un mandat actif, il donne à voir une commune soudainement dynamique, presque audacieuse.

Presque.

Car il suffit de regarder de près pour comprendre qu’il ne s’agit pas d’une trajectoire, mais d’un regroupement tardif.
Des opérations repoussées depuis trop longtemps et qu’on ne peut plus ignorer
Des projets étalés.
Des décisions différées, puis empilées en fin de mandat.

2025 n’est pas une année de référence.
C’est une année vitrine.

Une dernière couche de peinture avant l’état des lieux.
Un effort concentré qui ne dit rien de ce que sera la suite.
Le rythme affiché n’est ni reproductible, ni soutenable.
Il est simplement opportun.

📌 Lecture simple
Quand une année concentre soudain l’investissement, ce n’est pas forcément un élan. Souvent, c’est un retard qui rattrape les élus.
Une commune peut peindre vite. Construire, c’est autre chose.

Des recettes tranquilles, trop tranquilles

Côté recettes, le tableau est d’une grande cohérence idéologique.

La fiscalité fait le travail.
Les dotations stagnent.
Les produits annexes évoluent à la marge.

Rien ne témoigne d’une stratégie de diversification, d’attractivité ou de recherche active de financements externes.
La commune vit sur son socle historique, comme on vit d’un héritage bien placé : sans le dilapider, mais sans jamais l’investir.

Les chiffres sont polis.
Toutefois, le message est brutal : l’inertie fiscale tient lieu de politique financière.

🔎 Recettes : la commune vit sur son socle

Trois signaux, très classiques, très révélateurs :

  • La fiscalité reste la colonne vertébrale. Stable, certes, mais sans dynamique nouvelle.
  • Les dotations n’apportent pas d’oxygène. Elles suivent leur pente nationale.
  • Les recettes annexes bougent, mais elles ne changent pas l’histoire.

En résumé : pas de stratégie de ressources, seulement une routine de recettes.

Une gestion sans projet, ou l’art de colmater proprement

Les investissements inscrits au budget obéissent à une logique limpide :

  • Maintenir le patrimoine existant,
  • Réparer ce qui ne pouvait plus attendre,
  • Terminer ce qui avait déjà été lancé.

Rien de condamnable.
Rien de structurant non plus.

Aucun axe clair.
Aucune priorité lisible.
Aucune vision d’ensemble.

La commune gère.
Elle administre.
Elle entretient.

Elle ne projette pas.
Elle administre un présent figé, en supposant que les habitants s’en contenteront.
Après tout, la routine doit être confortable quand on y est bien installé…

Le conservatisme heureux, ou l’isolement comme méthode

Un autre trait saute aux yeux : la faiblesse des cofinancements mobilisés.

Dans un contexte où les politiques locales reposent de plus en plus sur des partenariats avec la Métropole, la Région, l’État ou les agences spécialisées, ‘É.’ semble cultiver une forme d’autarcie satisfaite. Benoîte. Confortable. Mais blète.

📌 Le détail qui tue
Une commune qui n’active pas les cofinancements ne “maîtrise” pas son budget. Elle réduit simplement son ambition à ce qu’elle peut payer seule.
C’est plus confortable pour la majorité en place. C’est plus cher pour l’avenir.

Ce n’est pas une contrainte financière.
C’est un choix politique, ou plus exactement un refus d’ingénierie. Et le refus de l’intelligence collective.

Une commune de cette taille ne peut plus agir seule.
Lorsqu’elle le fait, elle se condamne à une gestion défensive, prudente, frileuse.
Un conservatisme de bas niveau, rassurant pour les élus, coûteux pour l’avenir.

Oh wait !
C’est un peu comme si ça n’était pas un hasard…

Les angles morts, soigneusement entretenus

Enfin, certains domaines restent durablement relégués à la périphérie du budget : jeunesse, prévention, santé, vie associative.

Ils existent, bien sûr.
Juste assez pour dire qu’on y pense.
Pas assez pour en faire des priorités.

Ce n’est pas un accident.
C’est un arbitrage. Un choix politique.
Comme si la santé ou la jeunesse relevaient de sujets secondaires, bons à évoquer en discours, mais pas suffisamment intéressants pour être financés.

Car ce que l’on finance révèle toujours ce que l’on considère comme essentiel.
Et ici, l’essentiel semble être que rien ne change trop vite.

Le budget “sans emprunt” qui prépare l’emprunt d’après

La majorité actuelle aime se targuer d’une gestion sans recours à l’emprunt.
L’argument est simple.
Il est aussi trompeur.

Car après le budget primitif 2025, le prochain mandat héritera :

  • D’investissements concentrés,
  • De marges de manœuvre réduites,
  • D’une absence totale de programmation pluriannuelle.

Deux options seulement s’offriront alors à la future équipe municipale : s’endetter, ou faire vivoter la commune pendant six ans de plus.

Le conservatisme a ceci de pratique qu’il reporte toujours les décisions difficiles sur les suivants.
Et parfois, il espère simplement qu’ils n’auront pas le courage de les prendre non plus. 

Ce que ferait une équipe qui veut gouverner, pas seulement durer
  • Programmer sur six ans, pas sur une seule année “miracle”.
  • Arbitrer clairement, plutôt que saupoudrer pour n fâcher personne.
  • Aller chercher les cofinancements comme on cherche une recette fiscale, méthodiquement, sans posture.
  • Investir dans le social, la jeunesse, la prévention, non comme “dépenses”, mais comme stabilité territoriale.
  • Assumer qu’une commune ne se gère pas comme un coffre-fort, mais comme un organisme vivant.

Ce que ce budget dit vraiment

Ce budget ne raconte pas une commune en difficulté.
Il raconte une commune fatiguée de penser l’avenir.

Une commune qui préfère la continuité molle au débat politique.
La tranquillité comptable à l’ambition collective.
La gestion sans heurts à la transformation assumée.

Il existe pourtant une autre voie : celle d’une programmation lisible, d’une recherche active de partenariats, d’un usage stratégique de l’investissement et d’une vision politique claire du rôle municipal.

Mais cela suppose autre chose que du conservatisme de confort.
Cela suppose du courage.
Et c’est précisément ce que ce budget évite.
Parce que le courage coûte plus cher que l’inaction.

Sources & références
  • Commune “É.” – Budget primitif 2025, annexe budgétaire (recettes et dépenses, fonctionnement et investissement).
  • Commune “É.” – documents financiers publics associés au BP 2025 (présentation, annexes, tableaux).
Série éditoriale : [Autopsie intellectuelle]
On dissèque ici des idées, des textes ou des figures pour en exposer les mécanismes, les ambiguïtés, les usages. Un scalpel dans la main gauche, la pensée critique dans la droite.

Parfois, je n’utilise cette série uniquement parce qu’il n’est toujours pas légal de pratiquer des autopsies sur des gens vivants et que ce vert fait super joli en bas d’un article. Mais dans l’ensemble, c’est l’explication ci-dessus qui s’applique.

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