Préjugés sur les pauvres : retour d’un poison politique

« Les pauvres vivent aux crochets des riches » : on croyait ce mensonge relégué aux banquets de notables ventrus et aux sermons de curés de village.
Il revient pourtant à la mode, repeint en rouge et blanc par des politiciens qui n’ont de chrétien que l’hostilité aux faibles.
Au premier rang : Laurent Wauquiez, ce champion olympique du mépris social, toujours prompt à faire les poches des pauvres pour mieux caresser les fantasmes de l’électorat réactionnaire.
Mais ce poison n’est pas né d’hier. Il a une histoire. Une sale histoire.
Bons pauvres et mauvais pauvres : l’arnaque fondatrice
L’historien Gérard Noiriel le rappelle : dès l’Antiquité, on distingue les ‘bons pauvres’ : ceux qui souffrent en silence et restent dociles, des ‘mauvais’ : ceux qui réclament, dérangent, bougent, parfois fuient.
Chez Homère déjà, Ulysse mendiant mérite la pitié, mais seulement parce qu’il est en réalité un roi déguisé.
Ce découpage arrange tout le monde : le riche peut jouer au généreux, donner une aumône et sauver son âme sans remettre en question ni sa richesse, ni la structure du monde.
Le pauvre, lui, est prié de rester digne, reconnaissant, discret.
Et surtout, de ne pas trop durer.
Quand la pauvreté devient un crime
Jusqu’au 11e siècle, la pauvreté est encore vue comme une condition normale, voire pieuse. Les religieux l’associent à la figure du Christ, et l’aumône est un devoir.
Mais à partir du XIIIe siècle, tout bascule.
Les guerres, les famines, la peste font exploser le nombre de pauvres. Les villes s’agrandissent, les contrôles sociaux se durcissent, et avec eux, l’idée que ceux qui ne travaillent pas sont des parasites.
Les vieux, les infirmes, les malades : passe encore.
Mais les jeunes, les étrangers, les migrants ?
Suspects. Vagabonds. Paresseux.
On invente l’ancêtre du RSA : l’institutionnalisation du contrôle, les hospices, les hôpitaux-prisons, les maisons de travail. Le message est clair : travaille ou crève.
La ‘valeur travail’ : un outil de tri social
Au XIXe siècle, avec l’essor du capitalisme industriel, le discours se durcit. Travailler devient une vertu morale. Ne pas travailler devient un vice.
Le pauvre n’est plus seulement un exclu, il est coupable.
Coupable de ne pas produire, de ne pas s’intégrer, de coûter.
La bourgeoisie, qui accumule le capital grâce à l’exploitation des autres, retourne la logique et fait du travail un étalon de dignité.
Ceux qui souffrent mais produisent sont tolérés.
Les autres sont frappés d’indignité.
Même l’URSS, censée représenter l’émancipation des classes populaires, participera à cette logique en rééduquant les pauvres par le travail forcé.
On ne pardonne pas à ceux qui sortent du rang.
Les aides sociales ? Un fantasme pour les salauds
L’État-providence du XXe siècle n’a pas tué ce préjugé. Il l’a recyclé.
Dès que l’on parle de solidarité, de RSA, d’APL, de CMU ou de cantine gratuite, surgit l’accusation rance : « assistanat ». Les pauvres seraient devenus une armée de fainéants dopés aux aides publiques, financées par les « vrais travailleurs ».
Sauf que les chiffres disent l’inverse : la fraude sociale est bien moins élevée que la fraude fiscale, et les aides servent d’abord à survivre, pas à se prélasser. Mais qu’importe la réalité, quand le fantasme arrange le pouvoir ?
Wauquiez : le retour de la haine en col roulé
Et voilà que Laurent Wauquiez, éternel héritier d’une droite revancharde, revient à la charge.
En 2018, à Sciences Po, il affirmait tranquillement que « certains préfèrent vivre des minima sociaux plutôt que de traverser la rue pour bosser ».
Pas un mot sur les patrons qui paient au lance-pierre.
Pas un mot sur les dividendes.
Pas un mot sur les 150 à 200 milliards d’euros d’aides publiques aux entreprises, versés chaque année en France.
Pas un mot non plus sur leur destination finale : souvent redistribuées en dividendes, plutôt qu’investies dans les salaires ou l’emploi.
Juste les pauvres.
Encore eux.
Toujours eux.
Cette rhétorique n’a rien de moderne.
Elle pue la naphtaline.
Elle ressuscite une vision du monde où la richesse est le signe d’un mérite, et la pauvreté, la preuve d’un échec moral.
Mais dans les faits, qui vit sur le dos de qui ?
Qui s’enrichit grâce à l’évasion fiscale ?
Qui touche des aides publiques sans contrepartie ?
Qui se gave de niches, d’exonérations, de parachutes dorés ?
Ce ne sont pas les allocataires du RSA.
Ce sont les amis de Laurent.
Et voilà que Laurent Wauquiez, éternel chantre du mérite à deux vitesses, continue de festoyer aux frais de la princesse c’est-à-dire ceux des Rhône-alpins.
Un ‘dîner des sommets’ en 2022 à plus de 100 000 € pour 90 convives, soit 1 100 € chacun.
Des déjeuners parisiens à hauteur de 125 000 € sur deux ans.
Un tête‑à‑tête à 1 248 € avec Michel Houellebecq, plus un autre repas à 900 € à Saint‑Germain.
La touche ultime ? 237 € par jour ouvré pour ses repas, pris en charge par le contribuable.
Et lui, il brandit l’assistanat comme un épouvantail !
Le MEDEF : assistanat haut de gamme
Pendant que Laurent Wauquiez désigne les pauvres à la vindicte, le MEDEF tire les ficelles en coulisses.
Cette structure patronale, héritière d’un ordre social où le costume-cravate remplace la couronne, cumule les avantages sans jamais rendre de comptes.
Baisse d’impôts, exonérations de cotisations, aides à l’emploi, subventions à l’innovation, chantages à la délocalisation : le MEDEF vit sous perfusion publique.
Il réclame, exige, menace, obtient. Et redistribue… aux actionnaires.
Jamais un mot sur les salaires. Jamais un mot sur les conditions de travail. Jamais un mot sur les inégalités.
Le MEDEF est le visage institutionnel de l’assistanat bourgeois.
Et ses plaintes sur le « coût du travail » sont les pleurs indécents de ceux qui refusent de partager.
Conclusion : On sait qui sont les vrais parasites
Ceux qui exploitent les pauvres tout en les insultant.
Ceux qui réduisent les solidarités pour préserver leurs privilèges.
Ceux qui fabriquent des boucs émissaires à coups de PowerPoint électoralistes.
Wauquiez n’est pas un homme politique. C’est un héritier en guerre contre les humiliés.
Et les préjugés sur les pauvres sont son arme favorite.
Il est temps de les briser.
Et de viser les vrais coupables.
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Léon Chelli arpente les mondes de l’automobile et des énergies renouvelables à travers la transition écologique. Il y déchiffre mutations industrielles et stratégies de marché avec la lucidité un peu sauvage d’un promeneur qui choisit ses propres sentiers.
Il explore les transitions avec une vision systémique, entre ironie assumée et clarté analytique.