Effet Mathilda : les femmes effacées de la science
Une injustice structurelle trop bien huilée
Combien de découvertes scientifiques ont été attribuées à des hommes… alors qu’elles ont été faites par des femmes ?
Ce n’est pas une vague impression.
C’est un phénomène documenté, étudié, nommé.
L’effet Mathilda, c’est le vol systémique du mérite scientifique féminin par les pairs masculins, les hiérarchies académiques, les institutions de prestige.
Et ça dure.
Nommé en 1993 par l’historienne des sciences Margaret Rossiter, cet effet est une contrepartie oubliée de l’effet Matthieu de Merton, selon lequel les scientifiques les plus reconnus reçoivent mécaniquement davantage de crédit que leurs collègues, même pour des travaux identiques.
Mais là où Merton décrit un biais d’accumulation, Rossiter dévoile un mécanisme d’invisibilisation.
L’un est un avantage qui renforce la notoriété. L’autre est un effacement, pur et simple.
Origine du terme : hommage à une militante oubliée
L’expression effet Mathilda rend hommage à Mathilda Joslyn Gage (1826–1898), militante suffragiste américaine et pionnière de la critique féministe des sciences.
Elle dénonçait déjà au XIXe siècle la façon dont les femmes étaient systématiquement privées de reconnaissance pour leurs inventions, leurs idées, leurs apports intellectuels.
Elle fut, sans surprise, marginalisée par ses propres allié·es (notamment Susan B. Anthony, plus modérée).
Margaret Rossiter, elle-même confrontée au sexisme académique dans les années 1970, reprend cette figure comme symbole de la longue lignée des femmes effacées.
Une galerie de cas flagrants (et révoltants)
- Rosalind Franklin : elle photographie la structure de l’ADN en 1952, par diffraction aux rayons X.
Watson et Crick s’approprient son cliché sans autorisation, publient sans la citer, et reçoivent le Nobel. - Jocelyn Bell Burnell : découvre les pulsars en 1967.
Le Nobel 1974 est attribué à son directeur de thèse, Antony Hewish.
Elle, rien. - Lise Meitner : co-découvre la fission nucléaire, mais le Nobel de 1944 va à Otto Hahn.
- Nettie Stevens : identifie les chromosomes sexuels XX/XY, mais l’histoire retient Edmund Wilson.
- Esther Lederberg : pionnière de la génétique bactérienne, travaille avec son mari Joshua Lederberg.
Lui recevra seul le Nobel en 1958.
Et ce ne sont là que les cas les plus célèbres. Combien d’autres noms perdus dans les notes de bas de page, les remerciements de fin, les archives d’université ?
L’effet Mathilda aujourd’hui : plus subtil, tout aussi toxique
Le mécanisme d’effacement n’a pas disparu. Il s’est institutionnalisé, normalisé, algorithmiquement reproduit.
- Dans les laboratoires, les chefs de projet s’approprient les publications.
- Les femmes sont moins souvent premier nom ou dernier auteur, places stratégiques pour la reconnaissance.
- Leurs travaux sont moins cités à contenu équivalent.
- Les médias scientifiques privilégient toujours les visages masculins.
- Les algorithmes de Google Scholar, ResearchGate ou PubPeer reproduisent ces biais.
Même les comités de prix ou de financement, quand ils se veulent « neutres », ne le sont pas. L’objectivité académique est un mythe. Elle ne fait que reproduire les hiérarchies établies.
Les conséquences sont lourdes. Et systémiques.
L’effet Mathilda n’est pas un simple retard de reconnaissance. Il fausse l’histoire des sciences. Il dissuade les vocations. Il freine l’innovation.
- Il construit l’idée que le génie est masculin.
- Il prive les jeunes filles de modèles.
- Il justifie l’inégalité des carrières académiques.
- Il retarde les avancées scientifiques par perte de talents.
Et surtout, il brouille notre compréhension du monde.
Car si on ne sait pas d’où viennent vraiment les idées, comment les évaluer ? Comment progresser ?
Réparer l’histoire, c’est urgent (et possible)
Certaines initiatives méritent d’être saluées :
- Le Ada Lovelace Day, pour célébrer les femmes en science et tech.
- Des politiques de double-blind review, pour neutraliser les biais de genre.
- Des bases de données comme Women Also Know Stuff.
- Des relectures critiques de l’histoire scientifique.
Mais cela ne suffira pas. Il faut aussi :
- Réécrire les manuels scolaires.
- Former les journalistes scientifiques.
- Démystifier la figure du savant solitaire.
- Reconnaître les sciences comme activités collectives, mixtes, historiquement biaisées.
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Léon Chelli arpente les mondes de l’automobile et des énergies renouvelables à travers la transition écologique. Il y déchiffre mutations industrielles et stratégies de marché avec la lucidité un peu sauvage d’un promeneur qui choisit ses propres sentiers.
Il explore les transitions avec une vision systémique, entre ironie assumée et clarté analytique.