Ambroise Croizat : bâtisseur de solidarité, ennemi de la fatalité
Quand Croizat prit en main la Sécurité sociale, il ne bricolait pas un luxe, il inventait un droit.
Métallo, communiste, au Conseil national de la Résistance, il défendait l’idée que personne, aucun catéchisme, aucun patron, aucune peur, ne peut empêcher la solidarité universelle.
En juillet‑1945, face à la droite et au clergé, il porte la vision d’un pays où la maladie, la vieillesse, la famille ne sont pas un piège, mais une protection.
Pas de “rentabilité” qu’on brandit comme bouclier pour abandonner les plus fragiles.
Pas de service converti en matelas de profit.
La Sécurité sociale, c’est le pacte : tu cotises, l’État garantit ; tu tombes malade, on te soigne ; tu vieillis, on te protège.
Ce qu’il a bâti, c’est le droit opposable, pas l’aumône.

Aujourd’hui : la descente, rampe sombre et dissimulée
Le socle est intact ?
En théorie, oui.
Mais le bâtiment (les hôpitaux, les lits, les moyens, les financements) se fissure.
Et ceux qui ont le marteau du pouvoir ont pris un malin plaisir à en creuser les joints.
Le déficit : un grave signal
En 2024, le déficit de la Sécurité sociale atteint 15,3 milliards d’euros, soit 4,8 milliards de plus que ce que le gouvernement avait prévu.
La branche maladie pèse 90 % de ce déficit, parce qu’on sous‑finance, on désinvestit, on laisse dériver les dépenses de soins de ville.
Les projections ?
Ce n’est pas un soupir, c’est un hurlement : on prépare un déficit de 22,1 Md€ en 2025 au moins, et 24,1 Md€ en 2028, si rien n’est réellement renversé.
La suppression des lits : du public affaibli, du privé qui ricane
Plus qu’un chiffre, une blessure :
- En 15 ans, 70 000 lits d’hospitalisation ont été fermés.
- Sous Macron, le nombre de lits supprimés dépasse largement ce que Hollande avait fait. Sous Sarkozy, déjà, la saignée avait bien commencé.
- En 2022 seul, près de 4 900 lits fermés.
Et ça, en pleine pandémie, hein !
Fermer des lits, c’est affaiblir l’hôpital public.
Laisser crever le maillage territorial.
Pour ensuite vendre l’idée que le privé “complèterait mieux”, qu’il est plus “efficace”.
Méthode douce, mais méthode quand même : privatiser par glissements
Ce qui est pervers : ce n’est pas un coup de sabre.
C’est une série de micro‑claques, de petits transferts, d’expédients, de lois financées à moitié, de promesses de performance, de réductions de cotisations plus généreuses pour secteurs privés ou pour patrons.
- Les allègements généraux de cotisations patronales : en 2024, leur montant atteint 77 milliards d’euros. Ce sont autant de ressources que la Sécu ne reçoit pas — mécaniquement, cela affaiblit le régime.
- Le retour progressif à des financements plus “fiscaux” (CSG, impôts affectés, etc.) remplace la cotisation contributive — ce glissement change la nature même de la sécurité sociale, du “travail ↔ protection” à “collecte ↔ redistribution”. (Moins visible mais fondamental.)
- Lois hospitalières (HPST en 2009 sous Sarkozy) : gouvernance recentrée, exigence de budget équilibré, injonctions à la “rationalisation” (regroupements, fermeture de petites structures), ce qui est souvent le préambule discret à la privatisation ou à la délégation de service privé.
La rhétorique : “la Sécu coûte cher”, “inefficiente”, “elle fait perdre de l’argent”
C’est le refrain classique.
On réduit les moyens, on augmente le reste à charge, on ferme des lits, on affaiblit l’offre publique, puis on accuse la Sécu de “dérapage”.
Puis on propose “d’améliorer”, “de réformer”, de “réorienter vers le privé” comme unique plan de salut.
Pendant ce temps :
- On ne questionne presque jamais la part du privé lucratif dans les soins, dans les cliniques, dans les complémentaires santé, dans les délégations.
- On oublie de dire que faire des économies pour la maladie, c’est souvent reporter la facture (patients, mutuelles, inégalités).
- On maquille le déficit avec des projections optimistes de croissance, des promesses de recettes que l’on sait douteuses. (“Rendement des recettes” raté de –3,7 Md€ en 2024, selon la Cour des comptes, par exemple.)
Ce que Croizat nous crie encore
Croizat ne regarderait pas avec fierté ce glissement silencieux.
Il ne se contenterait pas de “défendre la Sécurité sociale”, il exigerait qu’on la restaure, qu’on la répare, qu’on la rende invincible.
- Remettre la cotisation sociale au cœur du financement.
- Rejuridiciser les droits : pas seulement déclarer le droit, le garantir matériellement (soins, hôpitaux, médecins, maternités réellement accessibles).
- Arrêter les fermetures, rouvrir ce qu’on a laissé fermer, financer massivement le public.
- Supprimer peu à peu le privé lucratif dans les fonctions qui devraient absolument rester dans le domaine public (urgences, maternités, soins essentiels).
- Transparence totale : qu’on sache ce qui est coûté, ce qui est rentable, ce que le privé gagne, ce que le public perd.
Conclusion
Ambroise Croizat a imposé ce qui semblait impossible : un système de protection sociale généreux, universel, stable.
Ce que nos gouvernants ont fait depuis : ils ont commencé par transférer, désinvestir, déléguer, attaquer sous couvert de “réformes”.
Et aujourd’hui, c’est la Sécurité sociale qui est en déficit, l’hôpital qui lâche, le public qui s’efface.
Si nous ne crions pas, si nous ne résistons pas, si nous n’exigeons pas, ce droit fondamental sera réduit à un souvenir que l’on brandit dans les discours.
Moi, je dis : hommage à Croizat, colère contre ceux qui rongeront ce qu’il a bâti et mobilisation pour le reprendre, le défendre, le restaurer de fond en comble.
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Léon Chelli arpente les mondes de l’automobile et des énergies renouvelables à travers la transition écologique. Il y déchiffre mutations industrielles et stratégies de marché avec la lucidité un peu sauvage d’un promeneur qui choisit ses propres sentiers.
Il explore les transitions avec une vision systémique, entre ironie assumée et clarté analytique.